Vendanges 2013
Dans mes précédents rapports de vendanges, j'ai souvent parlé de combat et d'adversité, qualifié de « parcours chaotiques » ou comparé à des « montagnes russes » les conditions météorologiques si fréquemment capricieuses qui gouvernent la naissance d'un millésime... Aucune année n'aura plus mérité d'être ainsi décrite que celle que nous venons de vivre.
Dans notre mémoire vigneronne, 2013 laissera en effet le souvenir d'une navigation effectuée souvent dans la tempête et sans savoir jusqu'au dernier moment quel sort les dieux de la météo nous réservaient... Mais, cramponnés à tout ce qui pouvait nous sauver du naufrage, nous sommes finalement arrivés à bon port et les mêmes dieux qui semblaient attachés à notre perte auraient certainement été fâchés d'être privés des grands vins que, malgré leurs coups ou peut-être à cause d'eux, nous venons d'enfermer dans nos caves !
Le début du printemps fut maussade avec un mois de mai catastrophique, des températures exceptionnellement basses pour la saison, beaucoup de pluies (près de 350 mm en trois mois contre 250 mm pour la même période en 2012, ce qui était déjà beaucoup...) et, par conséquence, un ensoleillement extrêmement rare.
Il en est résulté pour la vigne une coulure importante - que ce soit par « filage » (grappes non formées) ou par avortement au moment de la floraison - et une floraison tardive : le stade de la mi-floraison est atteint le 25 Juin seulement alors qu'en 2012 il l'avait été le 10 Juin et en 2011 le 19 Mai !
Ce fut la période la plus difficile, où il a fallu lutter quotidiennement, être sans cesse vigilants et intervenir au bon moment pour gagner la bataille contre les maladies, mildiou surtout, qui menaçaient. C'est ce qu'a fait avec un dévouement total, profitant des rares journées propices, l'équipe des vignes conduite par Nicolas Jacob.
Juillet et août ont été plus cléments, avec des périodes chaudes, certaines même caniculaires. On a connu de gros orages en juillet. Pour la deuxième année consécutive, des orages de grêle très sévères ont frappé les vignes de la Côte de Beaune, de Meursault à Aloxe-Corton. La récolte de beaucoup de ces vignes fut totalement anéantie. Nous avons eu là notre part de chance : la Côte de Nuits, elle, fut en effet épargnée.
Ce retour du soleil et le bel été qui s'ensuivit ont eu une importance capitale. Ils ont en effet en partie compensé le gros déficit de chaleur et d'ensoleillement que nous avions connu au printemps. La vigne a ainsi pu rattraper un peu du temps perdu et mener à bien ce mûrissement de fin de saison qu'on connait souvent en Bourgogne où Pinot Noir et Chardonnay peuvent gagner jusqu'à plus d'1° par semaine.
Ce fut le cas en 2013, qui reste néanmoins à classer parmi les années tardives, à comparer, au niveau des dates de vendanges, à des millésimes comme 1978 ou 1979. La qualité de ces deux magnifiques millésimes permet de souligner les avantages que peut apporter une saison longue où le raisin « mijote » sous un soleil plus doux et bénéficie d'un mûrissement lent, mais précurseur de complexité dans les vins.
A fin septembre, malgré ou peut-être à cause de tous ces aléas, la récolte 2013 se présentait très bien sur Vosne-Romanée et Corton, en petit volume certes, mais qualitativement saine, avec une majorité de petites grappes peu compactes et une bonne proportion de raisins « millerands », en bref du raisin « construit » pour faire de grands vins. Le secteur des Montrachet, légèrement touché par la grêle, était plus sensible au botrytis.
Au 30 septembre on avait atteint la maturité pour nos vins blancs et nos vins rouges de la Côte de Beaune. Pour la Côte de Nuits il fallait encore attendre un peu.
Entretemps des pluies abondantes étaient au dernier moment venues « brouiller les cartes » sur le secteur des vins blancs de la Côte de Beaune et le botrytis connut un développement explosif dans les Chardonnays. Ainsi c'est plus hâtivement que d'habitude que, le 2 octobre, nous avons vendangé notre Montrachet. La quantité récoltée est très faible, mais on devrait faire des vins riches et opulents dans la tradition des Montrachet du Domaine.
Même si les vignes de Pinot noir furent bien moins attaquées par le botrytis, il reste que les progrès de ce champignon, encouragés par l'humidité et une certaine chaleur, ont influé sur nos décisions de vendanges.
C'est ainsi que nous avons vendangé nos Corton le 3 Octobre.
Les 4 et 5 octobre furent des jours de pluies abondantes, parfois orageuses, qui précipitèrent l'arrivée et le développement du botrytis à Vosne-Romanée. Les vendanges y débutèrent le 6 Octobre comme prévu, mais sous la menace d'un botrytis prêt à exploser. Heureusement, la nature vint à notre secours en nous offrant un temps exceptionnellement froid, certains jours quasi hivernal : le développement du botrytis fut ralenti, puis stoppé et nous avons pu terminer les vendanges dans une sérénité retrouvée sous un ciel plus clément, quoique encore humide.
C'est ainsi qu'enfin put s'installer le fameux et désiré miracle bourguignon. Entre le début et la fin de nos vendanges à Vosne-Romanée, on a vu, malgré le froid et l'humidité, des gains en sucre que nous n'attendions plus, preuve que le raisin, même dans ces conditions difficiles, avait mûri. Les petits rendements dus à la coulure y sont certainement pour beaucoup.
C'est ainsi que nous avons vendangé dans l'ordre suivant :
- 2 octobre : Montrachet. Beaucoup de botrytis et par conséquent un tri sévère pour ne garder que le « pourri noble ».
- 3 octobre : les Corton. Excellent état sanitaire. Jolie récolte de petite quantité, mais bien mûre.
- 6 après-midi et le matin du 7 octobre : le Grands-Echezeaux : le botrytis est présent, mais un froid pénétrant s'installe et stoppe sa progression.
A partir de là, on vendangea par temps sec et dans des conditions quasi hivernales tout au long :
- Après-midi du 7 octobre et matinée des 8 et 9 : La Tâche,
- Après-midi du 8 octobre : la Romanée Conti,
- Après-midi du 9 octobre et matinée du 10 : le Richebourg,
- Après-midi du 10 octobre et le 11 toute la journée : la Romanée-Saint-Vivant,
- Toute la journée du 12 octobre et le matin du 13 : l'Echezeaux.
Pendant toutes ces vendanges, il a fallu sévèrement trier et ce tri a ralenti la progression des vendangeurs, mais, si la vendange se déroula finalement assez vite, en à peine 7 jours sur Vosne-Romanée, c'est à cause d'une récolte très faible en quantité, du même ordre que 2012 qui représentait déjà à peine plus de la moitié d'une récolte normale.
La qualité du tri de la vendange aura été une fois de plus capitale dans la qualité du vin fini. Nos équipes, que ce soit celle des vendangeurs à la vigne ou celle qui parachève le travail sur la table de tri, sont, comme vous le savez, parfaitement « rodées » et performantes. Ne sont arrivés dans les cuves que des raisins parfaits, ce qui a permis en cuverie à Bernard Noblet et à son équipe de travailler dans la sérénité que procurent des vinifications naturellement aisées.
Le raisin récolté froid a macéré tranquillement 5 à 6 jours, les fermentations ont démarré tranquillement, elles ont progressé lentement, mais activement, produisant de belles mousses roses lors des pigeages.
Il se confirme que les quantités sont très réduites, mais les vins ont de belles robes sombres, des arômes fins, de bonnes acidités en bouche et des tannins souples. On a finalement avec les 2013 des vins qui sont parmi les mieux équilibrés de ces dernières années. Mais attendons comme d'habitude les fermentations « malolactiques » pour avoir un avis plus définitif.
Vous aurez compris que, si je vous adresse ce rapport de vendanges aussi tardivement par rapport à ces dernières années, c'est que les vendanges ont elles-mêmes été les plus tardives depuis longtemps. Les vinifications sont tout juste terminées et nous avons entonné notre dernier vin, l'Echezeaux, le 4 Novembre ! ce qui n'était pas arrivé depuis longtemps.
Voici à titre d'information les rendements approximatifs obtenus en 2013 :
Romanée Conti ................ 18 hl/ha
La Tâche .......................... 19 hl/ha
Richebourg ....................... 17 hl/ha
Romanée-Saint-Vivant ...... 18hl/ha
Grands-Echezeaux ............ 22 hl/ha
Echezeaux ........................ 16 hl/ha
Corton ............................. 20 hl/ha
Montrachet ...................... 27 hl/ha