Vendanges 2014
Comme chaque année, les vendanges finies, il nous paraît important d'essayer de dégager quelques-uns des traits marquants autour desquels s'est construit le millésime.
Mais comment ne pas évoquer d'abord la splendeur de la mosaïque des climats qui, devenue oeuvre d'art, se déploie aujourd'hui devant nous sous un soleil d'Automne ! Court et magique moment où la vigne, soulagée de la récolte qu'elle a portée, comme si elle voulait reconnaître l'attention et les soins dont elle a fait l'objet pendant toute l'année, nous jette au visage la somptueuse beauté de son feuillage tourné en quelques jours couleur de cuivre et d'or...
Les villages de la Côte bourdonnent d'activité. Dans les cuveries les vignerons s'affairent autour des cuves en fermentation. Partout, dans les rues et les maisons, s'insinuent ces odeurs miellées et opulentes qui annoncent la naissance d'un beau millésime.
Et pourtant ça n'est pas une tâche facile que nous ont réservée en 2014 les dieux turbulents, farceurs et souvent en colère qui nous gouvernent... On peut diviser en 3 actes le scénario à rebondissements qu'ils nous ont fait vivre cette année :
Après un hiver humide et exceptionnellement doux, qui a rendu difficile le premier travail des sols, le printemps fut l'un des plus beaux et des plus secs que nous ayons connus depuis longtemps. La vigne a profité de ces conditions météorologiques exceptionnelles pour se développer dans le bonheur. Bien rarement nous avons vu un feuillage aussi sain et une croissance aussi équilibrée des éléments végétatifs de la vigne. Les maladies l'ont quasi complètement épargnée et on a pu réduire au minimum les traitements phytosanitaires.
La floraison fut extrêmement précoce, assez échelonnée à cause de nuits froides, mais complète : on a vu du millerandage, dans les vieilles vignes notamment, mais très peu de coulure cette année.
Ce premier acte lumineux vit sa terminaison avec les très violents orages qui éclatèrent le 28 Juin sur toute la Côte avec pour résultat des grêles sur une grande partie du territoire, dévastatrices dans certains finages comme Beaune, Pommard et Volnay, plus mineures dans d'autres comme Vosne-Romanée ou le secteur de Chassagne et Puligny.
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Immédiatement après ces orages, un épisode caniculaire, mais court, causa des phénomènes d'« échaudage » dans les vignes : les baies les plus exposées à un soleil brûlant « rôtissent » et sèchent, beaucoup tombent d'elles-mêmes, mais il est bien sûr nécessaire d'intervenir à la vendange pour éliminer celles qui restent. Ce léger éclaircissage naturel ne fut finalement pas malvenu en cette année de récolte abondante.
Le deuxième acte de cette pièce à rebondissements que fut 2014, nous a apporté à partir de juillet tout ce dont le vigneron ne veut pas : froid hors saison, fort déficit d'ensoleillement, pluies importantes (plus de 100 mm en Juillet), humidité et apparition du botrytis dès le début du mois d'août. De plus, tout travail du sol ayant été arrêté à partir du 1er août quand débuta la véraison, l'herbe a profité de ces conditions favorables pour se développer dans les vignes et devenir difficile à maîtriser.
Heureusement, l'avance qui avait été prise par la vigne au printemps, quoique bien ralentie en juillet et août, a permis au raisin d'arriver fin août dans un état de maturité raisonnable, même s'il fallut tout le mois d'août pour que la véraison s'accomplisse complètement, d'où une accentuation des différences de maturité entre les baies que l'on avait déjà constatées à la floraison.
Tout est alors en place pour le troisième acte qui, à partir de fin août, va complètement renverser la direction imposée par les deux mois précédents.
A partir de début septembre le vigneron vit arriver tout ce qu'il peut souhaiter de mieux pour ses vignes : vent du Nord, temps sec et ensoleillé, chaleur tempérée... La maturation s'accéléra et se mit à quasiment exploser, la vigne profitant à fond des réserves d'eau accumulées en juillet et août. Les Chardonnays notamment ont progressé très rapidement. Les Pinots, eux, un peu moins vite et c'est pourquoi il nous est apparu nécessaire dans nos décisions de dates de vendanges de tenir compte des mois de juillet/août anormalement froids et d'attendre. C'est en effet bien au-delà de la fameuse moyenne de 100 jours après floraison que l'on a commencé à trouver dans les raisins ces goûts et ces arômes fins et concentrés qui témoignent de la pleine maturité.
Dernière colère des dieux : un orage qui a éclaté sur toute la Bourgogne le 19 septembre, heureusement sans grêle et sans grosses pluies. Ce fut l'occasion d'assister à un phénomène rare que l'on ne voit qu'en quelques millésimes par siècle : la résistance extraordinaire que la vigne a communiquée au raisin... et ceci, on a pu le voir comme jamais après cet épisode orageux. Au lieu de ce qu'on aurait pu découvrir et dont nous étions quasiment certains compte tenu des conditions de chaleur et d'humidité produites par l'orage, c'est-à-dire une explosion du botrytis sur le raisin dès le lendemain matin, en réalité on n'a pas constaté la moindre attaque de pourriture ni dans les Chardonnays ni dans les Pinots ! grâce sûrement aux peaux épaisses des baies sorties renforcées des difficultés climatiques auxquelles la vigne avait dû faire face, ainsi bien sûr qu'à d'autres facteurs plus mystérieux et difficiles à analyser. Nos « climats » ont leur logique et leurs secrets...!
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La vigne a pu ainsi profiter pleinement de la magnifique semaine ventée, sèche et ensoleillée qui a suivi, permettant au raisin de se concentrer et de mûrir complètement.
C'est là que l'on comprend que le dénouement de l'aventure que l'on a vécue pendant les six à sept mois de végétation de la vigne n'est jamais prévisible, qu'il soit heureux ou malheureux, en aucun millésime.
Tel épisode pluvieux qui angoisse le vigneron quand il se produit peut en réalité faire les délices de la vigne qui va utiliser la réserve d'eau ainsi apportée pour accélérer les phénomènes de photosynthèse et le mûrissement complet du raisin.
Telle attaque de botrytis dont on pouvait craindre le pire, c'est-à-dire une explosion du champignon qui peut être très rapide en conditions favorables, va finalement, par la diminution de la quantité de récolte qui en résulte, aider la vigne à mûrir plus facilement et plus complètement le raisin intact et par conséquent à lui faire atteindre une plus haute qualité...
De même, cette année, le développement exagéré de l'herbe qu'on a connu suite aux conditions pluvieuses et que l'on a craint de ne pas pouvoir maîtriser, a eu un effet tampon qui a régulé l'apport d'humidité à la vigne et a certainement eu un rôle dans sa résistance au botrytis.
Il en va de même bien sûr pour les épisodes favorables. La vigne n'oublie jamais rien. Ainsi il est évident que le printemps exceptionnel a eu une influence essentielle sur la santé de la vigne tout au long de la saison, sur sa résistance et sur la qualité de maturité en fin de saison.
Nous avons commencé nos vendanges le 16 septembre par beau temps chaud, les avons arrêtées l'après-midi du 19 à cause de l'orage et les avons reprises le 20 accompagnés jusqu'au bout par un parfait « temps de vendange », lumineux, sec et tempéré.
Voici l'ordre dans lequel nous avons vendangé et la date de la cueillette de chaque cru:
Les Corton : 16 septembre
La Tâche : 17, 18 et 20 septembre
Richebourg : 20 et 21 septembre
Romanée-Conti : 19 septembre matin
Romanée-St-Vivant : 21, 22 et 23 septembre
Grands-Echezeaux : 23 et 24 septembre
Echezeaux : 24, 25 et 26 septembre
Montrachet : 22 septembre
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Comme toujours notre équipe d'environ 80 vendangeurs, tous aguerris par de nombreuses années de vendanges au Domaine et manoeuvrés de main de maître par Nicolas Jacob, notre chef de culture, a vendangé attentivement, veillant à éliminer le botrytis séché d'août, les baies touchées par la grêle de fin juin ou « échaudées », sèches elles aussi, et à laisser de côté les grosses grappes moins mûres qui seront vendangées lors d'un deuxième passage, comme nous en avons maintenant l'habitude.
Le raisin reçu sur la table de tri était magnifique de constitution, de couleur et de goût. Et nous retrouvons en plus ce que nous n'avions pas vu depuis 2009 : une belle quantité ! de celles qui provoquent le sourire du vigneron...et de l'amateur-consommateur !
En Montrachet le secteur avait été aussi légèrement grêlé fin juin. Aux vendanges, les baies touchées avaient séché et la plupart étaient tombées. Le 15 septembre le raisin pouvait passer pour mûr, mais il était si sain qu'il pouvait attendre. Nous avons attendu et cueilli le 22 septembre une vendange dorée, en parfait état sanitaire et mûre, richesse en sucre et acidité en parfait équilibre. Ce fut un moment de grande intensité, nous étions seuls, il n'y avait autour de nous que les corbeaux et nous...! La quantité est là aussi de bon niveau.
2014, l'avis est général, devrait produire de grands vins blancs de Bourgogne.
Les vinifications sont en cours sous la houlette sereine et attentive de Bernard Noblet et de son équipe. Elles se déroulent tranquillement, même si les cuves à surveiller sont plus nombreuses cette année qu'elles ne l'ont jamais été depuis 5 ans. Les montées en température sont harmonieuses et la couleur des vins rouges se détache bien. Les premiers décuvages montrent ces « robes » rouge sombre qui sont toujours le signe d'une haute maturité du raisin. Les équilibres, notamment vis-à-vis de l'acidité, sont excellents.
Il est bien sûr trop tôt pour donner un avis définitif, il faut notamment, comme chaque année, attendre la fin des fermentations malo-lactiques, mais nous sommes très optimistes quant à la qualité qui sortira de cette année 2014.
Une fois encore, nous pouvons conclure de cette nouvelle aventure que fut ce millésime 2014 que c'est à travers ces saisons difficiles, en « montagnes russes », que nos cépages bourguignons, Pinot Noir et Chardonnay, vont produire des vins de la plus haute qualité. Au vigneron de s'accommoder de l'anxiété et même de l'angoisse qui souvent les accompagnent... Jamais plus qu'en ce millésime 2014 ne se sont vérifiées les deux grandes règles du jeu qui chaque année s'imposent à lui : la prise de risque, obligatoire, et ce qu'on peut appeler la chance, mais qui est peut-être tout simplement le sourire de la vigne au vigneron qui a su la respecter... et l'aimer !