Rapport de vendanges 2015
La vigne célèbre l'inscription des Climats de Bourgogne au Patrimoine mondial
Une récolte comme celle-ci, faite de petites grappes compactes, non millerandées, avec des peaux épaisses gorgées d'anthocyanes et de tanins mûrs, moyenne en quantité et dont la floraison précoce et ultra-rapide a assuré une maturité exceptionnellement homogène et complète, mais sans tomber dans la sur-maturité, nous ne nous souvenons pas d'en avoir vu de semblable...
Comme chaque année nous sommes heureux - mais peut-être encore plus aujourd'hui tant ce millésime 2015 est impressionnant - de vous livrer nos impressions sur ces vendanges 2015 que nous venons de vivre et de mettre le projecteur sur les éléments qui nous ont paru les plus marquants dans la construction de ce millésime exceptionnel. Si nous vous l'adressons plus tardivement que d'habitude, c'est que nous avons affaire cette année à un millésime si extraordinaire et déroutant à tous égards, où la nature a tant poussé à l'extrême, mais sans jamais dépasser le point d'équilibre, tous les facteurs qui font que l'on produit de grands vins en Bourgogne, que nous n'avons pas voulu vous les livrer avant d'avoir une idée claire des vins, fermentations et entonnage terminés.
Mais rappelons d'abord que 2015 marque un moment essentiel et de grande émotion pour la Bourgogne : le 4 juillet dernier à Bonn, en Allemagne, le Comité du Patrimoine Mondial de l'Unesco, à l'unanimité des 21 pays membres du Comité, a inscrit les Climats du vignoble de Bourgogne sur la liste du Patrimoine Mondial de l'Humanité. Le Comité a ainsi reconnu qu'en Bourgogne est née, s'est développée et a prospéré une viticulture ancrée dans une longue histoire, modèle de toutes les viticultures de terroir du monde, qui s'est construite en créant une Culture qu'il est essentiel de respecter et de protéger si nous voulons la transmettre dans son intégrité aux générations futures.
Et ce fut effectivement comme si, en 2015, la vigne avait voulu célébrer la prestigieuse distinction qui lui était ainsi attribuée. Elle s'est montrée plus belle que jamais tout au long de l'année et plus généreuse aussi en nous offrant des raisins qui sont parmi les plus beaux qu'elle ait jamais produits. Aujourd'hui encore, au moment où nous écrivons ces lignes, elle a mis ses plus beaux habits d'automne et son feuillage, qu'un bel été a laissé intact, chatoie comme jamais de toutes les nuances fauves, dorées et pourpres qui annoncent certes sa prochaine dormance, mais qui sont aussi celles qui lui ont valu ce nom de Côte d'Or que celle-ci porte désormais pour l'éternité.
L'hiver fut doux : la plus basse température enregistrée a été de - 6°C autour du 12 février, et les pluies furent importantes, créant une forte réserve d'humidité qui lui bien utile à la vigne tout au long de l'année sèche que nous avons connue.
Cette tendance sèche et chaude de l'année s'est annoncée dès le printemps, doux et sec, sauf deux épisodes de pluies violentes, le 1er mai et le 15 juin, qui sont arrivés exactement au bon moment pour apporter la dose d'humidité dont la vigne commençait à avoir besoin.
Ce temps sec et chaud accompagné par un constant vent du Nord, cet ami de la vigne et du vigneron, a eu un impact déterminant sur la récolte en créant les conditions propices à une floraison précoce, très rapide et par conséquent exceptionnellement homogène. On ne vit aucune coulure et pratiquement pas de millerandage.
Le mois de juillet a été sec et chaud lui aussi, même caniculaire du 2 au 8 juillet avec des températures nocturnes de 30° ! Pendant tout le mois, il n'est tombé que 14 petits millimètres de pluie... Certains jours la chaleur est telle qu'on observe un blocage dans l'évolution du raisin. Mais des baies vérées sont repérées en Romanée-Conti et en Corton dès le 27 juillet.
La première quinzaine du mois d'août a été humide et douce, sans pics de chaleur. La vigne reprend son souffle et le raisin mûrit paisiblement. La mi-véraison est constatée autour du 9 août annonçant des vendanges pour début septembre.
En deuxième quinzaine d'août, on voit revenir le vent du Nord, un beau temps sec et des températures élevées pour la saison, notamment trois jours de canicule à la fin du mois.
Pendant tout ce temps-là, répétons-le, la vigne est restée étonnamment verte, saine et parfaitement connectée à toutes les forces astrales et telluriques qui lui donnent la vie. Elle a aimé les conditions sèches de 2015. Les vagues de chaleur de juillet ont à deux reprises bloqué son évolution, mais chaque fois, elles ont été corrigées par des épisodes orageux qui ont apporté l'humidité nécessaire. La vigne a ainsi connu une évolution quasi idéale et, grâce à ces conditions météo exceptionnelles, 2015 fut une année plutôt facile pour le vigneron. Nous avons pu toujours intervenir au bon moment et au bon endroit, que ce soit en apports de compost, en travaux du sol, en travaux manuels ou en traitements phytosanitaires !
Ceux-ci, quoiqu'exceptionnellement peu nombreux, ont été salvateurs au moment où, la perfection n'étant pas de ce monde, une ombre s'est invitée au tableau : l'oïdium. Ce champignon qui se développe pendant les nuits froides et humides a profité des rares épisodes pluvieux du printemps pour apparaître et s'incruster dans le secteur de Nuits-St-Georges, Vosne-Romanée et Flagey-Echezeaux.
Cette attaque nous a obligés à beaucoup de vigilance, même si nous avons eu régulièrement l'aide du temps sec et du vent du Nord pour éradiquer le champignon. Notre chef de culture Nicolas Jacob et son équipe ont su gérer victorieusement une situation qui fut compliquée par le fait que le soufre utilisé pour le traitement de l'oïdium perd de son efficacité au-delà des 30° de température que nous avons souvent connus en 2015.
A l'heure des vendanges nous avions des raisins d'une qualité sanitaire impeccable, mais en quantité moyenne, plutôt compacts, très peu millerandés, porteurs de baies aux peaux exceptionnellement épaisses et gorgées d'anthocyanes, forgées par la chaleur, l'intensité du soleil qui était allé jusqu'à en brûler certaines, et les gifles administrées par les orages successifs. Pas la moindre trace de botrytis. Mais le fait le plus remarquable qui est lui aussi lié à une floraison précoce et rapide, c'est le niveau de maturité du raisin. De cette homogénéité de la floraison a logiquement résulté une maturité à la fois homogène et extrême, mais sans jamais toucher à la sur-maturité comme cela avait été le cas en 2003. On constate d'ailleurs cet équilibre dans les analyses des moûts aux vendanges et aujourd'hui des vins, les acidités étant en parfait équilibre avec les tanins et le degré d'alcool plutôt élevé.
Le 4 septembre nous attaquons les vendanges en Montrachet par un temps sec et doux. Les vignes de Chardonnay ont en effet connu une maturité extrêmement rapide du fait des journées très chaudes de la deuxième quinzaine d'août et l'élévation consécutive très rapide du taux de sucre nous a amenés à vendanger cette vigne en premier. Résultat : des raisins mûrs d'une qualité magnifique, parfaite, superbement dorés, qui annoncent un très grand vin blanc, ce que semblent bien confirmer les premières dégustations du vin qui en ce moment termine sa fermentation malo-lactique en fûts.
Le 5 septembre, nous vendangeons les vignes de Corton et constatons que les impressions de pré-vendanges étaient justes, c'est-à-dire que le raisin de Pinot Noir vendangé est de qualité sanitaire parfaite et très mûr. Grâce à la solidité des peaux des raisins, le botrytis n'a jamais fait son apparition, même sur les raisins de seconde génération (verjus) que la vendange a laissés sur la vigne et qui ont attendu la fin du mois d'octobre pour mûrir et faire le bonheur de beaucoup de « vignerons du dimanche » !
Après un jour de repos le dimanche 6, nous attaquons nos vignes de Vosne-Romanée le lundi 7 septembre. Les instructions aux vendangeurs furent les plus simples que nous ayons connues ces dernières années puisque le botrytis était totalement absent et qu'il n'y a avait qu'à éliminer les quelques baies grillées par la canicule sur les grappes les plus exposées au soleil. Il y avait également des baies figuées, c'est-à-dire extra-mûres, mais celles-là il fallait bien sûr les conserver.
Le beau temps sec et doux nous accompagne jusqu'au 12. Très fortes pluies le 12, mais nous étions déjà en Echezeaux, dernière vigne vendangée, que nous avons terminée le 14 septembre.
Voici les dates des vendanges ainsi que les rendements approximatifs :
Romanée-Conti : 10 septembre 22 hl/ha
La Tâche : 7 et 8 Septembre 25 hl/ha
Richebourg : 8 et 9 septembre 24 hl/ha
Romanée-St-Vivant : 9, 10 et 11 septembre 26 hl/ha
Grands-Echezeaux : 11 et 12 septembre 30 hl/ha
Echezeaux : 12 et 14 septembre 25 hl/ha
Corton : 5 septembre 22 hl/ha
Montrachet : 4 septembre 30 hl/ha
La maturité phénolique parfaitement achevée du raisin nous a amenés à choisir de faire les vinifications en vendange entière, c'est-à-dire sans aucun éraflage. De telles vinifications sont toujours un challenge. Elles furent conduites de main de maître par Bernard Noblet et son équipe.
Les fermentations ont été riches, puissantes et exceptionnellement longues (21 à 23 jours suivant les cuvées) du fait des importantes teneurs en polyphénols des raisins et de leur richesse en sucre. Beaucoup de petites baies aux peaux exceptionnellement solides ne livrèrent leur jus qu'en fin de fermentation et même, pour certaines, sous la force du pressoir seulement.
Les vins ont donc été entonnés avec un peu de sucre qui a continué sa fermentation dans les fûts, apportant ainsi aux vins un surcroît de souplesse et d'onctuosité. Si aujourd'hui encore on fait silence dans la cave, on entend les fûts murmurer la chanson du vin en train de naître.
Les vins ont des robes pourpres et profondes, des bouquets qui exhalent le fruit et en bouche des tanins amples. On ne trouve aucune trace de sur-maturité, comme cela avait été le cas en 2003, mais toute l'opulence et la richesse d'une maturité extrême.
Dans les vins finis, on voit poindre les caractères bien connus de puissance et d'équilibre du Richebourg, de force avec une touche de réglisse de la Tâche, d'élégance et de longueur en bouche de la Romanée-Conti qui prend déjà son envol au-dessus des autres.