Rapport de vendanges 2017
« Maintenant, Bacchus, c'est toi que je viens chanter ! Viens ici, dieu du pressoir... la campagne resplendit... la vendange écume dans les cuves à pleins bords. Viens, dieu du pressoir, viens et, dépouillant ta chaussure, trempe avec moi tes jambes nues dans le moût nouveau ». VIRGILE « Géorgiques, livre II »
En ce premier dimanche d'octobre, l'air fraîchit, l'été s'apprête à laisser la place à la douceur de l'Automne. Les vignes sont comme apaisées d'avoir laissé leur fruit aux vendangeurs, les feuilles prennent leur temps pour tomber... la paix règne et l'impression forte, prégnante même, qu'un enfantement s'est produit et que tout le célèbre : le calme et la légèreté de l'air, la beauté du paysage et surtout la chaude lumière qui émane de la vigne. D'heure en heure elle change, passant du doré au brun clair puis au rouge et vice-versa : le grand peintre de l'automne bourguignon est au travail au coeur de la fin de saison longue et lumineuse qui s'annonce, effet de la précocité du millésime.
Au contraire, dans les cuveries, la transmutation du moût en vin se fait dans le tumulte... « la vendange écume dans les cuves... » et quand, pour les « pigeages », on entre comme Virgile « avec les jambes nues dans le vin nouveau », qui fermente à 34/35°C, c'est comme si on avait le bonheur de retrouver pour quelques instants la chaleur du sein maternel...
C'est le moment de nous retourner en arrière et d'essayer de retrouver dans nos souvenirs et dans nos notes des éléments qui nous permettent d'analyser au moins quelques-uns des facteurs qui ont été déterminants pour dessiner le vin de 2017 dans sa forme finale. Même s'ils sont bien peu nombreux, les éléments que nos pauvres analyses humaines savent mesurer, à côté des innombrables qui constituent ensemble la mystérieuse alchimie du terroir, il est important d'essayer de comprendre comment et pourquoi la vigne cette année a fabriqué, pour une fois en quantité, d'aussi beaux raisins, noirs et gonflés d'un jus riche et gorgé de sucre.
2017 a en effet donné une magnifique récolte en volume comme en qualité des raisins. Nous n'avions pas vu cela depuis longtemps.
Pour la première fois depuis longtemps également nous avons eu un hiver froid. En janvier, pendant plusieurs semaines d'affilée, les vignes restèrent habillées d'une blanche couche de givre, mais sans qu'il neige !
Le mois d'avril fut très sec et plutôt chaud. Il en résulta un débourrement dès la fin mars, c'est-à-dire très précoce. La vigne a exposé des feuilles dès le 6 avril et il n'est pas étonnant qu'elle se soit trouvée en grand danger quand, fin avril, comme l'an dernier, les risques de gelées matinales se sont faits menaçants. Réalisant la catastrophe que serait une nouvelle gelée, après celle durement ressentie de 2016, les vignerons de tous les villages de Bourgogne se sont réunis chaque jour à l'aube, du 27 au 29 avril, pour brûler de la paille au bord des vignes et créer le nuage de fumée capable de protéger ces dernières de la morsure sans recours du gel. La solidarité a fonctionné et le gel a reculé.
Second épisode essentiel dans l'histoire du millésime : la floraison. C'est la floraison qui chaque année décide en grande partie du volume de la récolte. Elle est passée cette année très tôt (fin mai), très rapidement (en 3 jours à peine) et par temps chaud. Il en est résulté une floraison très complète de toutes les baies et même la pluie pourtant venue la perturber n'a pas créé de millerandage. C'est ainsi que fin mai, sauf attaque brutale, de grêle par exemple, on pouvait déjà s'attendre à vendanger tout début septembre une très belle quantité de raisins.
Juin fut extrêmement chaud, jusqu'à 39°C le 21. Résultat : quelques baies brûlées, mais cette chaleur favorisa surtout le durcissement des peaux des raisins, ce qui allait être très important et positif pour la vigne quand en juin et juillet une succession d'orages vint frapper le vignoble et remettre à l'ordre du jour les ennemis habituels qui jusqu'ici n'avaient pas pu se manifester, comme le mildiou et le botrytis... Les baies qui avaient grossi sous l'effet de la pluie résistèrent et demeurèrent épaisses et solides.
Ainsi, fin juillet/début août, lors de la véraison, c'est-à-dire le moment où la vigne cesse de développer son appareil végétatif pour se concentrer sur le mûrissement de son raisin, on a retrouvé une majorité de grosses grappes parfois compactes, mais saines.
Pendant toute cette période, Nicolas Jacob et tout le personnel du Domaine, de cave et de vigne confondus, se sont trouvés confrontés à un développement exceptionnellement rapide des organes végétatifs de la vigne. On a vu des sarments s'allonger de 10 cm en 24 heures. La nature nous mettait en demeure de réaliser en un temps record les opérations essentielles d'ébourgeonnage puis d'accolage, celle-ci tout spécialement délicate à cause de la fragilité apportée aux sarments par leur croissance express.
Août fut sec et chaud. Le mûrissement des raisins s'accélèrera, notamment au niveau du gain en sucre. Dans la deuxième quinzaine d'août on était déjà arrivé à des teneurs en sucre qui auraient justifié de récolter avant la fin du mois, mais il était important d'attendre, car la maturité phénolique, celle des arômes et des précurseurs qui feront le goût et le caractère du vin fini, n'était pas encore tout à fait au rendez-vous, les sols trop secs ayant du mal à la débloquer.
Heureusement, à ce moment-là, fin août, des pluies salvatrices vinrent lever cet obstacle et parfaire cette maturité ultime, essentielle dans la qualité finale du millésime.
La traditionnelle avance de la Côte de Beaune sur la Côte de Nuits s'est encore vérifiée cette année et le 4 septembre, dans nos vignes de Corton aux chauds sols calcaires, nous avons cueilli des raisins magnifiques, sains et gorgés de sucre...
Nous avons attendu le 6 pour commencer les vendanges à Vosne-Romanée avec La Tâche, vendangée les 6 et 7. La Romanée-Conti a été vendangée le 8 au matin et nous avons commencé le Richebourg dans l'après-midi. Le 9, il a plu dans la matinée et nous avons arrêté les vendanges toute cette journée-là pour les reprendre le 10 en Richebourg, puis en Romanée-St-Vivant les 10 et 11, en Grands-Echezeaux le 12 et en Echezeaux le 13. Une nouvelle matinée de pluie nous a fait arrêter de vendanger le jeudi 14 et nous avons terminé le 15 avec les dernières parcelles d'Echezeaux.
Le Montrachet qui avait été gelé à 90% l'an dernier s'est montré très vigoureux cette année. Comme il est normal après une gelée, la vigne n'ayant pas produit de raisin en 2016 s'est ressaisie et retrouvée avec une forte volonté de production dans l'année qui suit et cela pour notre bonheur. Il a été vendangé le 7 septembre. Le rendement, sans être exagéré, a été bon, le raisin parfaitement sain et mûr. Les fermentations se passent extrêmement bien et nous sommes très optimistes sur ce millésime de Montrachet.
La Paulée a été célébrée le samedi 16, Paulée très spéciale car c'est la dernière vendange en tant que responsable des vinifications de Bernard Noblet, chef de cave du Domaine depuis 1986 à la suite de son père André Noblet. Il convenait de marquer le parcours remarquable que fut la carrière de Bernard et on y a servi des vins de 1978, année de son entrée au service du Domaine, de 1985, sa première vinification (en fait nous avons commis une erreur, c'est 1986 qui l'est en réalité !) et le « clou »... de 1957, son année de naissance.
A notre formidable équipe de vendangeurs, magistralement menée encore une fois cette année par Nicolas Jacob, ces vendanges laisseront le souvenir d'une cueillette facile. Les grappes s'offraient sans réserve aux vendangeurs qui eurent très peu à trier, sauf à éliminer les raisins secs, brûlés par le soleil ou déjà flétris. Après chacune des pluies qui se sont produites avant les vendanges ou même pendant celles-ci, nous craignions de voir le botrytis se développer ou même exploser comme il le fait parfois en fin de cycle de la vigne, mais ces craintes ne se sont pas vérifiées et c'est jusqu'au bout une vendange très saine qui a été rentrée.
Année généreuse pour le vigneron qui en a tout naturellement remercié ses vignes.
Dans un millésime comme 2017 où l'on peut se laisser déborder par la générosité de la nature et s'autoriser la surabondance, la maîtrise des rendements est évidemment un facteur clé. Une fois de plus, il s'est vérifié que nos sélections de types fins de pinot noir comme de chardonnay, c'est à dire peu ou moyennement productifs, sont un élément majeur dans cette maîtrise, ainsi que l'âge de nos vignes qui pour tous les crus est en moyenne de 50 ans environ.
A cette vendange abondante et saine, il fallait offrir une vinification qui respecte la qualité des raisins. L'éraflage pratiqué après le dernier tri en cuverie, juste avant l'encuvage, a été minime, parfois nul pour certaines vignes comme la Romanée-Conti, vinifiée en vendange entière.
Pendant les macérations de quelques jours qui ont précédé les départs en fermentation, on a vu apparaître des robes rouge sombre. Puis les fermentations ont commencé et dès les premiers remontages sont apparues les vivantes mousses roses qui annoncent en général un millésime riche et généreux. C'est une exceptionnelle campagne qui nous occupe au moment où nous écrivons ces lignes puisque Bernard Noblet, avec son successeur Alexandre Bernier et son équipe, doit vinifier cette année 24 cuves, soit presque le double de l'an dernier.
On peut dire en conclusion et en attendant que la fin des décuvages et l'élevage en fûts de chêne qui va suivre nous apportent plus d'informations sur les caractères spécifiques de ces vins de 2017, que les promesses du printemps ont été tenues : nous avons rentré une récolte exceptionnellement abondante, mais sans excès grâce à la maîtrise naturelle des rendements qu'a su mettre en place notre équipe de vignes, une récolte exceptionnellement saine également et qui s'annonce de très belle qualité.